Le brochet, succulent mal-aimé du Léman
Il n’y a pas que la perche dans la vie! Présentation d’un gros carnassier lacustre aux méchantes dents pointues mais à la chair exquise. JÉRÔME ESTÈBE | 03.04.2009 | 00:00
Bon, évidemment, elle a un physique moyennement sexy, la bestiole. Grande gueule dentue. Gros yeux cruels. Long bidon musculeux. Brrr. Et ce n’est pas tout. Car non content de faire peur aux petits enfants, le brochet cache une chair percluse d’arêtes. Et pas des arêtes d’opérette. Des arêtes en Y, de vrais crochets qui exigent dextérité et science pour être extraits sans carnage. Décourageant. Pourtant, sous ces dehors peu engageants, le roi du Léman offre une chair serrée à la saveur mirobolante. Un délice tapi là, dans les flots bleus, au bout du quai, sous votre pédalo.
Moelleux et croquant«C’est un poisson magnifique», s’enthousiasme Bernard Lonati. Le très avisé cuisinier de Ma Colombière vient justement d’organiser un atelier sur ledit carnassier. «Il a une chair à la fois moelleuse et croquante, qui ne ressemble à rien de répertorié. Ou si, peut-être un peu à celle de la lotte. Mais attention, si le brochet du Léman s’avère fin et goûteux, ses cousins d’autres lacs nordiques peuvent sentir assez fort.» Exigez donc l’autochtone.
Cet autochtone d’ailleurs, normalement, on ne devrait même pas vous en parler aujourd’hui. Car à cette époque de l’année, sa pêche est d’ordinaire fermée. Or, depuis trois ans, les autorités ont décidé de la maintenir ouverte. «Il grouille dans le lac; il y en a trop», explique le parrain des pêcheurs lémaniques, l’amène Jean Fröhlich. «Notez qu’on commence à peine à en attraper. L’eau était bien trop froide toutes ces dernières semaines. Il ne bougeait pas.»
Le brochet adulte peut se montrer méchamment balèze. Vingt kilos et plus. Il y a donc parfois des coups de filet spectaculaires, qui alimentent les causeries entre pêcheurs le soir au coin du feu. «Mon record? 17 kilos», sourit Bernard Cerutti, pêcheur à Vésenaz et spécialiste de l’animal. Lui le fume. «On le désarête, on le congèle pour éliminer d’éventuels parasites et on le passe au fumoir, à froid, au hêtre, quatre ou cinq heures.» Le nec plus ultra? «Le cœur de filet, comme celui du saumon, qui est dégagé puis fumé: un moelleux incomparable.»
Cela dit, la succulence de la bête demeure hélas confidentielle. «A Genève, pour en vendre, il faut se lever tôt», gronde Cerutti. «Il y a une vraie psychose autour du brochet», renchérit son collègue versoisien Michel Perrissol. «Les gens ont des tonnes d’a priori.» Par exemple, sa haute teneur en PCB, la vilaine molécule toxique des eaux douces. Ben, même pas vrai. «Le brochet a beau se situer en haut de la pyramide alimentaire, il contient très peu de PCB», explique Didier Ortelli, du Service de la consommation et affaires vétérinaires. «Toutes nos analyses le prouvent. Sa chair, très peu grasse, les emmagasine peu, contrairement aux grands ombles, par exemple.»
source :
http://www.tdg.ch/loisirs/restaurants/brochet-succulent-mal-aime-leman-2009-04-02 @+